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dimanche 11 mars 2018

Sally Mann, un journal intime photographique



Sally Mann s’est fait connaître par son second livre « Immédiate Family » (1984-1992) qui souleva rapidement une polémique qui lui reprochait son exhibitionnisme à l’égard de sa famille, en particulier ses enfants et lui prêtait des intentions ambiguës relativement à ses images de nudités juvéniles qui parfois miment les attitudes adultes dans des poses volontairement provocantes, considérées par certains comme inappropriées. Il s’agit bien plus, évidemment, d’une question de codes culturels et dans certains cas de relents puritanistes.

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Quant à Sally Mann, elle a déclaré a de multiples reprises que ces scènes photographiques n’avaient pas de caractère autobiographique ou intime, qu’elles prétendaient à une forme d’universalité abordant la réflexion sur l’adolescence, l’enfance, la perte de l'innocence et le regard d’un adulte, en l’occurrence leur mère, observant, dans le « souci » de l’autre, le basculement du jeu vers l’entrée dans l’âge adulte. On peut supposer que la question est plus complexe, les artistes brouillent souvent les pistes concernant leur travail que ce soit de bonne ou mauvaise foi.

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Néanmoins, quand on considère le parcours universitaire de Sally Mann qui a étudié la photographie et la littérature au Summa Cum Laude, Hollins College, qu’on la lise ou l’écoute dans ses interviews, on constate que si elle n’intellectualise pas nécessairement, il n’en demeure pas moins que son travail est très marqué par le récit et la littérature qui accompagne ses photos comme elle inspire ses compositions. Les photographies de Sally Mann fonctionnent souvent comme des aphorismes, voire des allégories, sur la Nature et l’union ou la séparation d’avec elle. Dés lors le procès sur l’éventuelle « perversité » de ses images ne tient plus et oriente l’interprétation vers une vision très proche de la philosophie américaine, dans sa version transcendantaliste et romantique, de l’osmose avec la Nature, dont la nudité est une forme de manifestation[...]

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Source : artefields.net

samedi 17 juin 2017

Gerhard Richter | Gebirge (1968)


Chez Gerhard Richter pas d'invention, une simple copie un peu réductrice et pourtant un écart subtil dans lequel le regardeur s'abîme !

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jeudi 9 février 2017

Gerhard Richter | "Eisberg" chez Sotheby's London.

Gerhard Richter | Eisberg

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©Gerhard Richter. "Eisberg", 1982. 

Vente exceptionnelle d’un Gerhard Richter chez Sotheby’s:

Gerhard Richter est chez Sotheby’s. En effet,  Sotheby’s London mettra en vente le 8 mars 2017 une des trois toiles du travail de l’artiste ayant pour motif le Groenland. Ces pièces sont inspirées de photographies prises lors d’un voyage effectué en 1972. On peut voir d’ailleurs ces prises de vue dans « Atlas » l’inventaire en ligne du travail de l’artiste, (Planche d’Atlas: 359). Gerhard Richter a repris ces clichés à la suite de son divorce avec Ema en 1980 dans sa manière photo-réaliste mais avec un pathos et un esprit assez différent des séries similaires comme celle consacrée par exemple à Ulrike Meinhof. Il confie lui même que ces paysages furent une forme de catharsis. «Ce projet était… une excuse pour m’échapper… Mon problème de mariage était à son comble. Aller dans la glace, c’était comme trouver un lieu où se sentir en sécurité, un lieu où il n’y avait pas de vie, seulement de la glace» – Gerhard Richter.


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©Gerhard Richter. Atlas.

Des glaciers photo-réalistes.

L’œuvre mise aux enchères le 8 mars 2017 est intitulée « Eisberg » (datée de 1982). C’est une référence évidente à Caspar David Friedrich et le fameux tableau « La mer de glace » (1924). Cette pièce appartient au pan photo-réaliste du travail de Richter où l’artiste s’astreint à reproduire un cliché photographique banal dépourvu de qualité esthétique. Or cette « technique » de reproduction presque myope, on pourrait dire de copiste méticuleux, permet selon l’artiste de se libérer du sujet signifiant pour ne se consacrer qu’à la surface picturale.

Un appel ambivalent au réel.

Ces tableaux photo-réalistes sont par conséquent assez ambivalents puisque Gerhard Richter s’installe dans une démarche de reproduction « photo-réaliste » figurative mais en utilisant des moyens picturaux qui troublent au sens strict l’exactitude de la représentation. C’est une sorte d’hyperréalisme flou. En effet le filé obtenu par l’accumulation de glacis gomme, efface, étire, brouille la matière et semble aller de l’extérieur (le motif ou le sujet) vers l’intérieur à savoir la surface du tableau en tant que telle. Il y a une tension entre le référent et sa disparition progressive.


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©Gerhard Richter. "Eisberg im Nebel", 1982.

Surface et lumière.

La « mimesis » est ici une reproduction qui glisse donc patiemment vers une ascèse virtuose du geste pictural pour lui même. L’accumulation de glacis et par là même de transparences conduit à un flou qui éloigne le sujet apparent. Le motif lui même est ainsi détourné vers un travail sur la lumière et la tonalité. La concentration extrême sur la surface picturale de la toile transforme celle-ci en une gamme subtile et changeante de teintes quasi monochromatiques qui agit sur le regardeur comme une surface diffusante et réfléchissante. Le tableau semble émettre de la lumière, devient fluide et fait penser au miroir d’un lac ou un étiolement du réel. La toile est strictement comme un plan de projection où les éléments de l’image réfléchie se déposeraient dans leurs composants, couleurs, tons, valeurs et texture.


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©Gerhard Richter. "Eis", 1981.

Étirements

Outre les glacis qui fusionnent les contours, la ligne et fondent en dégradés infimes les masses, il y a un autre effet qui procède également à l’effacement, ou, pourrait on dire, à l’éloignement, l’étirement de la touche. En effet, pour appliquer ses glacis l’artiste doit étirer la pâte, faire filer la couleur diluée. Il en résulte des traces presque imperceptibles qui en diluant la matière laisse apparaître la texture de la toile clairsemée de quelques granules et irrégularités. Ces touches opèrent comme un étiolement de ce qui est figuré ajoutant au flou une sorte d’éffilochement de la pâte et donc du motif porté sur la toile. On pourrait d’ailleurs voir dans le travail d’abstraction de Gerhard Richter comme un approfondissement de ce procédé qui serait démesurément agrandi. L’autre particularité de ces étirements de matière est qu’ils créent des irrégularités qui accrochent la lumière. Ceci contribue encore davantage à nimber la toile d’une luminosité qui semble sourde du cadre.


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©Gerhard Richter. "Rain 2", 1988.

Mélancolie !

Ceci dit dans cette série des glaciers le caractère évidemment romantique du motif donne un pathos assez rare dans le travail de Gerhard Richter. En effet, cette série est teintée d’une nostalgie presque esthétisante. Le « sujet » n’est donc plus seulement la surface picturale puisque ici le motif sert de prétexte suggérant un état d’esprit. Bien que relevant de la peinture de paysage « Eisberg » est évidemment l’expression quasi allégorique d’un sentiment mais aussi un dialogue avec le romantisme allemand. Cette mélancolie habite d’ailleurs nombreux des quelques paysages peints par Gerhard Richter. Paysages qui sont fréquemment baignés dans la brume et éclairés d’une lumière faible, diffuse qui devient par delà la reproduction méthodique le motif même de la toile.

©Gerhard Richter. "Wiesental", 1985.



Peinture et citation.

Ces épanchements de l’artiste sont particulièrement visibles dans la série des œuvres à caractère auto-biographique. Mais même dans ce cadre intimiste Gerhard Richter va du singulier au général en jouant souvent d’un appel explicite à l’histoire de l’art à travers des photographies du quotidien. Il en va ainsi de « Betty » (rappel de portraits renaissants de l’Ecole vénitienne), de « Ema (Nu descendant l’escalier) » (Duchamp), « la Liseuse » (Vermeer de Delft) et ici « Eisberg » (Caspar David Friedrich). La citation est une manière de « décontextualiser » le caractère privé et intime du sujet vers un des traits spécifiques de la peinture à savoir la reprise formelle de grands thèmes de son histoire. La question en jeu par delà la thématique abordée est l’expression plastique elle même. On parle ici plus de peinture et de peintres que de la représentation de la sphère privée figurée par la lecture, par exemple, que fait une jeune femme d’une lettre (Wermer de Delft) ou d’un journal (la liseuse de Richter), même si la volonté d’aborder le sujet suivant son époque, sa modernité n’est pas insignifiant, loin de là.


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©Gerhard Richter. "Lesende", 1994. Vermeer de Delft.

Paysages miroirs.

Dans le cas des paysages groenlandais Gerhard Richter cumule:
• la recherche par la technique des glacis d’un effet de lumière interne au tableau.
• Mais aussi un effet proprement romantique de mélancolie et de solitude de l’homme face au grandiose.
• Enfin la gamme chromatique donne un effet de variation inépuisable. Gamme qui est très large et subtil dans des tons qui oscillent entre le froid et donc l’éloignement et des valeurs chaudes et douces.
« Eisberg » est donc comme un miroir au propre comme au figuré. C’est littéralement une surface réfléchissante et changeante par ses transparences et ses tons subtilement mêlés. C’est aussi le reflet d’un affect qui n’hésite pas à convoquer explicitement l’histoire de l’art.

L’ambiguïté et la complexité de ces œuvres à travers un motif ordinaire exercent une véritable fascination parce que tout parait suspendu et indécis. Ce qui a été sous la lumière du jour et s’offre à nous via la reproduction du réel se dilue dans un chromatisme presque Wagnérien qui se propage et se diffuse en variations constantes depuis la surface même de la toile.


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©Gerhard Richter. Doppelgrau, 2014. Courtesy Marian Goodman gallery.





 
En savoir plus sur la vente:



©Gerhard Richter.
Courtesy Sotheby’s London.
Courtesy Marian Goodman Gallery.


mercredi 22 juin 2016

Farah Atassi à la galerie Xippas.


FARAH ATASSI | La puissance du motif.




Farah Atassi.


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©Farah Atassi. Courtsey galerie Xippas.

Farah Atassi, dont on peut voir les dernières œuvres à la galerie Xippas poursuit méthodiquement sont travail de décomposition de la Figuration, ou pour être plus précis de la Figure. La chronologie de son travail est de ce point de vue très éclairant. Farah Atassi a commencé par représenter des espaces vides inspirés plus ou moins de l’univers des jeux vidéo où la géométrie, comprise comme un procédé sériel, agissait déjà tel un algorithme déréalisant la Figure de l’objet représenté.

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©Farah Atassi. Courtsey galerie Xippas.

La Matrice !


Dans ces œuvres du début les motifs géométriques contaminent la représentation à l’image d’une matrice informatique qui passerait à la moulinette l’espace en trois dimensions. C’est dans ces premières pièces, au sens strict, une pixellisation de la représentation qui se délite pour faire apparaitre le blanc de la toile, le vide. Le parcours a donc été au début celui de la dissolution de l’espace par pollinisation ornementale des formes et des plans constituant l’espace tridimensionnel de la figuration. Très rapidement ce délitement de la forme spatiale s’est nourri des motifs ornementaux de l’histoire de l’art. Les carrées évoquant le pixel deviennent des motifs proches de l’art précolombien ou encore évoquant les motifs ornementaux de l’art oriental où la géométrie est une extrapolation de l’écriture.




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©Farah Atassi. Courtsey galerie Xippas.

Une écriture cursive.

Cette écritures cursive qui envahit les volumes picturaux n’a pas néanmoins complètement remplacer la référence au pixel qui de carré est devenu triangulaire. Or en informatique le maillage qui constitue les objets géométriques est constitué de surfaces triangulées entre des points. On est passé du pixel qui est une vision un peu naïve de la représentation numérique et qui ne correspond en réalité qu’à l’étape finale après rastérisation de la géométrie à la peau qui sous-tend véritablement les volumes construits numériquement.
Il y a chez Farah Atassi une double obsession de déconstruction ornementale de la figuration, d’une part le déchirement cursif de la surface vers le blanc, de l’autre un parcours contaminateur de l’histoire des formes dans les arts plastiques.
Dans ces espaces, qui deviennent des toiles de fond (le fond de la toile) persistent néanmoins comme indicateurs des points de repère dans l’espace effiloché de la représentation picturale, des objets qui sont autant de citations du réel mais aussi des objets qui ont peuplés l’histoire des arts visuels.

Entropie et ornementation.

Au tout début du travail d’Atassi ces objets étaient des tables, lits d’hôpitaux, etc. représentés de manière imitative quoique déjà schématisés. Mais au cours de l’évolution de son travail les objets se sont non seulement stylisés mais ils sont devenus aussi moins indépendants du fond perspectiviste. L’ornement s’est donc propagé sur les objets peuplant l’espace de la figuration, comme si la texture entropique du fond venait également se projeter sur les figures. Figures qui d’ailleurs ne sont plus en corrélation étroite avec le fond. Les cubes virtuels qui encadrent et situent plus ou moins dans l’espace les figures ne sont ni des paysages, ni des intérieurs comme au début mais au sens strict des cubes plus ou moins complexes d’ailleurs. Il y a cependant toujours un haut, un bas et des cotés. A l’exception néanmoins de la période où Farah Atassi reprenant les thèmes à la Piranèse se jouait des repères spatiaux pour procurer au “regardeur” un sentiment de vertige presque physique.

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©Farah Atassi. Courtsey galerie Xippas.

Les derniers travaux.

Les derniers travaux qu’on peut voir à la galerie Xippas semblent de ce point plus apaisés et moins artificiels, plus de trouble de la perception visuelle, mais une sorte de contamination entropique des formes picturales de l’histoire de l’art moderne. Le cubisme, le purisme, Delaunay et les figures picassiennes sont conviés à l’écriture cursive qui envahit tout. C’est d’ailleurs plus frontal et resserré que dans les œuvres antérieures. Les figures citées sont posées au centre et le fond n’est guère plus qu’un angle, un coin, une vitrine. L’espace c’est singulièrement étréci, la perspective n’ouvre plus d’espace, l’on bute presque immédiatement sur le fond envahi par le vide des blancs ou jaunes très légers. Le chromatisme est d’ailleurs beaucoup plus fort que dans les œuvres précédentes. La ligne cède même parfois le pas aux tons qui structurent l’ornementation.

Cette dernière déclinaison de l’ornement quasiment cursif est fascinante et très singulière parmi les tendances actuelles de l’art. Ni réelle réinterprétation de l’art moderne, ni retour de la figuration, ni relecture “post-moderne” de l’abstraction, l’art de Farah Atassi pourrait faire penser, en forçant le trait, et si il n’était pas si savant, à de l’Art Brut en raison notamment de son aspect obsessionnel, itératif et entropique.


FARAH ATASSI.

Galerie Xippas, Paris.
Du 11 juin au 30 juillet, 2016.



Voir aussi:


Héraldique des temps modernes.

Yayoi Kusama.

Simons Evans.

Les frères Quistrebert au Palais de Tokyo.

Matt Connors.

©Farah Atassi.

Courtesy galerie Xippas.


lundi 20 juin 2016

ARAKI | Une mythologie de l'intime.


NOBUYOSHI ARAKI 

Une mythologie personnelle et apocryphe.



Araki.

“La photographie est en fait une parodie du monde. C’est une parodie du je.” -Nobuyoshi Araki.

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©Nobuyoshi Araki.

On ne sait pas si Araki est un machiste, un réel érotomane, ou un habile metteur en scène d’une mythologie personnelle.

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©Nobuyoshi Araki.


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©Nobuyoshi Araki.
Il faut évidemment renoncer à la disjonction et accepter le tout de ces positions plus ou moins contradictoires, tout du moins dans le monde conceptuel. Car c’est certainement là que gît la clé. La vie n’est pas logique. Et Araki est un maître quand il s’agit de saisir avec espièglerie l’entremêlement confus et énergisant de la mort et la vie, de la dissimulation et la sincérité. D’autant plus que pour Araki la photographie est une fiction, un récit propre à développer son autofiction paradoxale car chez lui le récit est en porte-à-faux permanent avec lui-même.

Il est par exemple bien possible que ces femmes ficelées soient chosifiées, mais ce n’est pas ce qu’on ressent en observant attentivement la plupart des clichés d’Araki. Ces femmes ne sont pas lascives et vous regardent sans exprimer quoique ce soit. Plutôt impénétrables, elles restent elles-mêmes. Offertes à notre regard. Ce qui leur octroie une présence aussi insondable que notre incapacité à leur donner une intention précise. De même D’ailleurs, la plastique presque baroque des compositions (en studio) est aplatie par un éclairage frontal et sans apprêt. Du coup on observe bien certains détails, mais ces femmes demeurent insaisissables, lisses jusqu’au pubis si graphique (Araki les retouche en post-production) qu’il en perd sa connotation sexuelle.

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©Nobuyoshi Araki.
Ces photographies de « bondage », ces « Kinbaku » sont des paradoxes savamment agencés, bien qu’une fois le décor planté Araki travaille dans la plus grande improvisation. Autant les séries « Voyage Sentimental » et « voyage d’hiver » qui narrent l’approche de la mort de la femme d’Araki sont fortement marqués par le pathos, autant les femmes suspendues sont abstraites sans qu’il y ait pourtant de formalisme dans la composition et le traitement des épreuves. Le paradoxe persiste, car aussi distanciés que soient ces nus sans réelle sensualité, le regard des modèles est saisissant d’intensité. C’est le propre des grands photographes de savoir capter instinctivement l’instant où quelque chose vibre. Le comble est que ces femmes réifiées en apparence ne manquent pas d’aplomb et échappent ainsi au voyeurisme d’Araki, comme à celui du regardeur. Le jeu s’est installé et il est réciproque. Araki semble donc avoir noué une telle complicité avec les modèles, (qui se bousculent innombrables au casting), qu’ils s’offrent en étant là tout simplement dans des jeux sexuels dont finalement le modèle/objet devient le pivot autour duquel Araki gravite. Finalement des grands clichés en couleur de « Kinbaku » on ne se souviendra que du noir des yeux et des pubis soigneusement « peignés ».

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©Nobuyoshi Araki.
Cependant un des légers reproches que l’on puisse faire à cette exposition au musée Guimet est d’être un peu trop lisse, trop “arty”. On ne voit pas ou peu ou mal (vitrine de Polaroïds étalés pêle-mêle et trop éloignés du regard, etc.) tous les clichés festifs, presque puérils, potaches et salaces, voire un peu “beaufs” des années 70 à 90. Dans ces séries Araki faisait mine de témoigner de la vie nocturne à Tokyo. Il publiait pour Playboy Japon et réalisait des reportages sur le monde de la production pornographique. Mais il s’empressait dans le même temps de brouiller les pistes par des datations fantaisistes ou en mêlant ces instantanés de soirées avinées avec de parfaites mises en scène en studio entouré d’une pléthore d’assistants et dans des décors montés de toute pièce.

Il ne faut donc pas, comme le photographe lui-même, être trop naïf avec ces « fragments de vie ». Araki est un pitre, un clown tragique, parfois sincère, toujours voyeur et qui même lorsqu’il joue à nous abuser ne s’en cache pas. D’ailleurs, les mises en page des publications d’Araki sont parlantes à ce sujet, en effet elles fonctionnent fréquemment par collisions, disruptions spatiales et temporelles, quand on se ne rapproche pas quelques fois du collage surréaliste. Pour Araki ce désordre exprime au fond une forme de désespoir au pied léger.

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©Nobuyoshi Araki.
Enfin, hormis la série autour de sa femme, une autre série photographique donne un éclairage plus profond et presque “romantique” du travail d’Araki. Il s’agit de tous les clichés de sa “muse” Kaori Endo où la gravité muette et juvénile du modèle imprègne l’image d’un caractère tragique. Ici on ne “rigole” plus, l’impermanence de la jeunesse, de la pureté, de la vie semblent marquer chacune des photographies.

Il faut donc se méfier un peu de la machine médiatique bien rodée qu’est Araki, (il a publié plus de 450 livres au Japon), tout en ne boudant pas le talent du photographe qui a su rendre l’esthétique de la vie imprégnée de mort, de sexe, de futilité, de profondeur, d’impermanence et d’inconséquence, tout ceci dans une confusion inextricable.

Araki semble très intime avec cette proximité de la mort/impermanence en toute chose, c’est l’extraordinaire force de son travail.



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©Nobuyoshi Araki.



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©Nobuyoshi Araki.



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©Nobuyoshi Araki.


NOBUYOSHI ARAKI | Araki.

Musée Guimet.
Du 13 avril au 5 septembre, 2016.



Voir aussi:


Ren Hang, morphologie de l’amour.

Carla Van De Puttelaar.

Francesca Woodman

Thomas Ruff.




lundi 13 juin 2016

La boite de Pandore au MaM !



LA PHOTOGRAPHIE et Pandora, ornée de tous les dons.




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©Man Ray. Courtesy MaM.


L’objet de cette exposition au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris est selon le communiqué de presse la photographie dans la perspective de la photographie plasticienne mais aussi en tant qu’outil technologique. On va donc du daguerréotype à l’extrapolation en 3D en passant par la microphotographie l’étude du mouvement par Muybridge et les expérimentations surréalistes.

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©Eadweard Muybridge.
Un parcours intéressant au parti pris marqué et assumé mais qui fait du coup l’impasse sur bien des aspects de la photographie. En effet, la boite de Pandore qu’a ouverte la photographie n’est pas seulement celle de la fin de l’illusionnisme ou de l’authenticité ou encore de l’objectivité de l’outil.

On regrette donc un grand absent: l’image rhizomique, c’est à dire celle des réseaux sociaux qui tout en donnant une place inouïe à la photographie l’annule partiellement en l’absorbant dans l’image dématérialisée comme narration, autofiction, et signe adressé à une tribu, une communauté ou le « monde » « virtualisé ».

L’image photographique partagée/manipulée/recrée de toute pièce/sans auteur avéré est devenue si prédominante qu’on aurait aimé voir cet ultime fruit de la boite de Pandore. Mais en considération de la perspective adoptée on ne peut en faire reproche à Jan Dibbets, le commissaire de cette exposition.

Néanmoins, en parcourant cette proposition muséale on peut se demander si la photographie en tant que telle n’est pas morte. Ou doit on proclamer : « la photographie est morte vive la photographie »? En effet, l’image photographique n’est plus guère l’expérimentation du médium pour lui même. On serait tenter de dire que le téléphone connecté au capteur photographique surpuissant en a fait plutôt un outil visuel de narration. La photographie est devenue ouvertement productrice de signes, c’est maintenant un outil d’échange de signes de reconnaissance très souvent équivoques car polysémiques.

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©Etienne Léopold Trouvelot.
L’objet de la “photo” n’est donc plus tant le réel qu’un système sémiotique, (umwelt), où se mêle captation réelle et réappropriations sans signature. Le référent de la “photo” se dissout car l’objet de l’image c’est avant tout le signe à échanger. Au final la boite de Pandore n’a jamais été aussi largement ouverte. On attend donc l’au delà de cette exposition avec curiosité, ce pourrait être: “La boite de Pandore 2.0 et au-delà”.








LA BOITE DE PANDORE | MaM.
Une autre photographie par Jan Dibbets.
Musée d’Art Moderne de la ville de Paris.
Du 25 mars au 17 juillet 2016.





Voir aussi:

Thomas Ruff.

Clement Valla.

Rollin Leonard.

Nobuyoshi Araki.


vendredi 3 juin 2016

Albert Marquet | MaM


Albert Marquet | "Peintre du temps suspendu".




Albert Marquet,

©Albert Marquet. Courtesy MaM.
a droit au musée d'Art Moderne de la vielle de Paris à une rétrospective très exhaustive et significative du travail de cet artiste.

Une exposition qui rend bien compte de la modernité de l’artiste tout en montrant l’aspect protéiforme et relativement inclassable de l’œuvre.

On peut y voir les grands courants du début du 20° siècle, à l’exception peut-être du cubisme.
Tout d’abord la connotation la plus évidente: le fauvisme, lisible dans l’extreme simplification des formes et des tons francs mais, et c’est l’appropriation propre à Albert Marquet, adoucis par des “dégradés”, complémentarités hérités de l’impressionnisme.
Une touche quasi expressionniste mais sans excès de pathos.

Une touche qui retient principalement l’impression de vitesse d’exécution, la vivacité, l’apparence de saisie instantanée.
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©Albert Marquet. Courtesy MaM.
Des détails presque abstraits quand il s’agit des figures, mais on ne perde jamais la figuration.
D’ailleurs, l’humain est rarement plus qu’une silhouette, un signe en mouvement dans la cadre.
Une lumière diffuse, interne mais relevant de la monumentalité, et issue des aplats de couleurs subtilement modulés. On pense évidemment à Monet.

Une ligne quand il s’agit de la végétation très cursive proche de Valloton dans certains cas ou de Matisse pour certaines œuvres de jeunesse.

Toutefois, dés lors qu’on a égrené toutes ces références ou plutôt toutes ces appropriations stylistiques on constate que Marquet demeure un electron libre. Ce qui pourrait donc passer pour des influences ne sont que des emprunts techniques au service d’une construction constante, à savoir rendre dans une apparence de rapidité, d’instantanéité, de vitesse les vibrations non plus seulement de la lumière (impressionnisme) mais de la mobilité fuyante d’un certain “réel”, une “umwelt” pour ainsi dire, ou l’interaction du regard d’Albert Marquet avec l’agitation, les fluctuations de la nature ou de la ville.


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Albert Marquet | Peintre du temps suspendu.

Musée d'Art Moderne de la ville de Paris.
Du 25 mars au 21 août 2016.

©Albert Marquet.
Courtesy musée d’Art Moderne de la ville de Paris.

Voir aussi:
Joaquin Sorolla
Courbet, les Demoiselles des bords de Seine.
Expositions.