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jeudi 9 février 2017

Gerhard Richter | "Eisberg" chez Sotheby's London.

Gerhard Richter | Eisberg

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©Gerhard Richter. "Eisberg", 1982. 

Vente exceptionnelle d’un Gerhard Richter chez Sotheby’s:

Gerhard Richter est chez Sotheby’s. En effet,  Sotheby’s London mettra en vente le 8 mars 2017 une des trois toiles du travail de l’artiste ayant pour motif le Groenland. Ces pièces sont inspirées de photographies prises lors d’un voyage effectué en 1972. On peut voir d’ailleurs ces prises de vue dans « Atlas » l’inventaire en ligne du travail de l’artiste, (Planche d’Atlas: 359). Gerhard Richter a repris ces clichés à la suite de son divorce avec Ema en 1980 dans sa manière photo-réaliste mais avec un pathos et un esprit assez différent des séries similaires comme celle consacrée par exemple à Ulrike Meinhof. Il confie lui même que ces paysages furent une forme de catharsis. «Ce projet était… une excuse pour m’échapper… Mon problème de mariage était à son comble. Aller dans la glace, c’était comme trouver un lieu où se sentir en sécurité, un lieu où il n’y avait pas de vie, seulement de la glace» – Gerhard Richter.


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©Gerhard Richter. Atlas.

Des glaciers photo-réalistes.

L’œuvre mise aux enchères le 8 mars 2017 est intitulée « Eisberg » (datée de 1982). C’est une référence évidente à Caspar David Friedrich et le fameux tableau « La mer de glace » (1924). Cette pièce appartient au pan photo-réaliste du travail de Richter où l’artiste s’astreint à reproduire un cliché photographique banal dépourvu de qualité esthétique. Or cette « technique » de reproduction presque myope, on pourrait dire de copiste méticuleux, permet selon l’artiste de se libérer du sujet signifiant pour ne se consacrer qu’à la surface picturale.

Un appel ambivalent au réel.

Ces tableaux photo-réalistes sont par conséquent assez ambivalents puisque Gerhard Richter s’installe dans une démarche de reproduction « photo-réaliste » figurative mais en utilisant des moyens picturaux qui troublent au sens strict l’exactitude de la représentation. C’est une sorte d’hyperréalisme flou. En effet le filé obtenu par l’accumulation de glacis gomme, efface, étire, brouille la matière et semble aller de l’extérieur (le motif ou le sujet) vers l’intérieur à savoir la surface du tableau en tant que telle. Il y a une tension entre le référent et sa disparition progressive.


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©Gerhard Richter. "Eisberg im Nebel", 1982.

Surface et lumière.

La « mimesis » est ici une reproduction qui glisse donc patiemment vers une ascèse virtuose du geste pictural pour lui même. L’accumulation de glacis et par là même de transparences conduit à un flou qui éloigne le sujet apparent. Le motif lui même est ainsi détourné vers un travail sur la lumière et la tonalité. La concentration extrême sur la surface picturale de la toile transforme celle-ci en une gamme subtile et changeante de teintes quasi monochromatiques qui agit sur le regardeur comme une surface diffusante et réfléchissante. Le tableau semble émettre de la lumière, devient fluide et fait penser au miroir d’un lac ou un étiolement du réel. La toile est strictement comme un plan de projection où les éléments de l’image réfléchie se déposeraient dans leurs composants, couleurs, tons, valeurs et texture.


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©Gerhard Richter. "Eis", 1981.

Étirements

Outre les glacis qui fusionnent les contours, la ligne et fondent en dégradés infimes les masses, il y a un autre effet qui procède également à l’effacement, ou, pourrait on dire, à l’éloignement, l’étirement de la touche. En effet, pour appliquer ses glacis l’artiste doit étirer la pâte, faire filer la couleur diluée. Il en résulte des traces presque imperceptibles qui en diluant la matière laisse apparaître la texture de la toile clairsemée de quelques granules et irrégularités. Ces touches opèrent comme un étiolement de ce qui est figuré ajoutant au flou une sorte d’éffilochement de la pâte et donc du motif porté sur la toile. On pourrait d’ailleurs voir dans le travail d’abstraction de Gerhard Richter comme un approfondissement de ce procédé qui serait démesurément agrandi. L’autre particularité de ces étirements de matière est qu’ils créent des irrégularités qui accrochent la lumière. Ceci contribue encore davantage à nimber la toile d’une luminosité qui semble sourde du cadre.


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©Gerhard Richter. "Rain 2", 1988.

Mélancolie !

Ceci dit dans cette série des glaciers le caractère évidemment romantique du motif donne un pathos assez rare dans le travail de Gerhard Richter. En effet, cette série est teintée d’une nostalgie presque esthétisante. Le « sujet » n’est donc plus seulement la surface picturale puisque ici le motif sert de prétexte suggérant un état d’esprit. Bien que relevant de la peinture de paysage « Eisberg » est évidemment l’expression quasi allégorique d’un sentiment mais aussi un dialogue avec le romantisme allemand. Cette mélancolie habite d’ailleurs nombreux des quelques paysages peints par Gerhard Richter. Paysages qui sont fréquemment baignés dans la brume et éclairés d’une lumière faible, diffuse qui devient par delà la reproduction méthodique le motif même de la toile.

©Gerhard Richter. "Wiesental", 1985.



Peinture et citation.

Ces épanchements de l’artiste sont particulièrement visibles dans la série des œuvres à caractère auto-biographique. Mais même dans ce cadre intimiste Gerhard Richter va du singulier au général en jouant souvent d’un appel explicite à l’histoire de l’art à travers des photographies du quotidien. Il en va ainsi de « Betty » (rappel de portraits renaissants de l’Ecole vénitienne), de « Ema (Nu descendant l’escalier) » (Duchamp), « la Liseuse » (Vermeer de Delft) et ici « Eisberg » (Caspar David Friedrich). La citation est une manière de « décontextualiser » le caractère privé et intime du sujet vers un des traits spécifiques de la peinture à savoir la reprise formelle de grands thèmes de son histoire. La question en jeu par delà la thématique abordée est l’expression plastique elle même. On parle ici plus de peinture et de peintres que de la représentation de la sphère privée figurée par la lecture, par exemple, que fait une jeune femme d’une lettre (Wermer de Delft) ou d’un journal (la liseuse de Richter), même si la volonté d’aborder le sujet suivant son époque, sa modernité n’est pas insignifiant, loin de là.


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©Gerhard Richter. "Lesende", 1994. Vermeer de Delft.

Paysages miroirs.

Dans le cas des paysages groenlandais Gerhard Richter cumule:
• la recherche par la technique des glacis d’un effet de lumière interne au tableau.
• Mais aussi un effet proprement romantique de mélancolie et de solitude de l’homme face au grandiose.
• Enfin la gamme chromatique donne un effet de variation inépuisable. Gamme qui est très large et subtil dans des tons qui oscillent entre le froid et donc l’éloignement et des valeurs chaudes et douces.
« Eisberg » est donc comme un miroir au propre comme au figuré. C’est littéralement une surface réfléchissante et changeante par ses transparences et ses tons subtilement mêlés. C’est aussi le reflet d’un affect qui n’hésite pas à convoquer explicitement l’histoire de l’art.

L’ambiguïté et la complexité de ces œuvres à travers un motif ordinaire exercent une véritable fascination parce que tout parait suspendu et indécis. Ce qui a été sous la lumière du jour et s’offre à nous via la reproduction du réel se dilue dans un chromatisme presque Wagnérien qui se propage et se diffuse en variations constantes depuis la surface même de la toile.


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©Gerhard Richter. Doppelgrau, 2014. Courtesy Marian Goodman gallery.





 
En savoir plus sur la vente:



©Gerhard Richter.
Courtesy Sotheby’s London.
Courtesy Marian Goodman Gallery.